L’espace domestique et les comportements que chaque individu adopte par rapport à son lieu de vie sont des recherches qui alimentent mon travail plastique.
M’inspirant de récits Absurdes (pièces de théâtre et oeuvres littéraires), de Ionesco, Beckett, Pinter et quelques autres, je cherche à produire des sculptures poétiques et inquiétantes à la fois. Les dimensions de mes pièces font généralement référence à des standards architecturaux (hauteur de plafond, cadre de porte, cadre de fenêtre, escalier, etc.) ou de mobilier (lit, chaise, table, etc.).
Lorsqu’il y a réutilisation d’un mobilier existant, celui-ci est mis en scène. Dans Il est temps de s’asseoir dessus, une conteuse se place de temps à autres dans un coin de l’espace d’exposition pour raconter l’histoire d’une chaise pliable qui sans cesse subit brimades et discriminations par les rigides et cherche à tout prix à corriger cette injustice…
Mes travaux les plus récents présentent un décor vide d’acteurs. L’espace devient alors un champ de possibles où tout s’est déjà produit ou en attente de l’imminence d’une action. Le spectateur n’est par contre jamais le témoin d’un acte. Il ne voit qu’un espace qui le laisse songeur; il reconnaît une familiarité devenue étrange.
The domestic space and the behaviours that each individual adopts from his or her place of life are elements of research which fuel my sculpture and installations.
Drawing inspiration from Absurd narratives (plays and literary works), of Ionesco, Beckett, Pinter and many others, I seek to produce sculptures that are both poetic and disturbing. The dimensions of my pieces generally refer to architectural standards (ceiling height, door frame, window frame, staircase, etc) or of furniture (bed, chair, table, etc).
When there is reuse of an existing item of furniture, it is staged. In Il est temps de s’asseoir dessus, a storyteller sits from time to time in a corner of the exhibition space to relate the story of a folding chair which is constantly suffering bullying and discrimination by the rigid chairs and seeks at all costs to correct this injustice…
My most recent work tends to exclude the viewer who sees more than a set empty of actors. The space then becomes a field of possibilities where everything has already happened or is waiting an impending action. On the other hand, the viewer is never a witness to an act. He sees only a space which puzzles him.
entretien entre Dina Léger* et Géraldine Singy
DL: Comment qualifierais-tu ton travail artistique?
GS: Tout d’abord, je citerais les médiums utilisés que sont la sculpture et l’installation. Je ne cherche pourtant pas à me canaliser dans un seul domaine mais c’est pourtant toujours vers la sculpture que je trouve le moyen de m’exprimer le plus largement. Au début, j’étais persuadée que mes installations racontaient une histoire. A présent, je pense que tout art, quel qu’il soit, raconte nécessairement une histoire. Elle nous échappe (au moins en partie) puisque le spectateur se construit toujours mentalement un récit en relation avec sa vision du monde, ses expériences, sa culture, etc. Alors pour répondre à ta question, mon travail cherche avant tout à créer un instantané poétique.
DL: D’où vient cette envie de créations poétiques?
GS: De mes récentes recherches sur l’Absurde. Tous ces dramaturges et écrivains de l’Absurde avaient comme point commun de ne pas présenter une morale mais simplement de communiquer un ensemble d’images poétiques. Ils ne cherchaient pas à raconter une histoire et pourtant la narration y était, malgré eux. Leurs oeuvres et leur vision très noire et fataliste de l’Homme me touchent et me questionnent. J’ai par conséquent envie d’inclure ces réflexions dans mes pièces actuelles.
DL: Pourquoi l’Absurde te questionne autant et quelles sont tes interrogations?
GS: Les auteurs de l’Absurde m’interpellent, très certainement parce que je ne vis pas à la même époque qu’eux. Le fait d’avoir connu la guerre les a amené à envisager l’avenir de l’humanité de façon extrêmement fataliste. De nombreuses oeuvres Absurdes utilisent l’espace domestique comme métaphore de la psychologie humaine. Les logements se rétrécissent, s’écroulent, forcent ses habitants à monter toujours plus haut pour se retrouver piégés, etc. Le fait d’être née en Suisse en 1983 m’amène à concevoir les logements de façon diamétralement opposée à leur vision. C’est cette différence entre génération qui m’intéresse et cette façon que l’on a tous de s’approprier un lieu en fonction de notre culture, de notre âge et de nos expériences.
DL: Est-ce que ton travail se dirige vers le théâtre?
GS: Non, ce n’est qu’une source d’inspiration, tout comme les espaces domestiques et les standards en architecture. Mes pièces parlent toujours de sculpture et bien souvent d’art minimal. Pourtant, je ne fais pas de l’art minimal puisque mon travail est très symbolique mais son aspect visuel fait souvent intentionnellement référence à l’art minimal ainsi qu’à l’art des années 60 dans son ensemble.
DL: Qu’est-ce qui t’intéresse dans l’art minimal?
GS: Il y a une oeuvre qui m’intéresse tout particulièrement, c’est Die de Tony Smith. Georges Didi-Huberman cite entre autres cette sculpture dans son livre Ce que nous voyons, ce qui nous regarde.
Il re-questionne l’art minimal pour en arriver à une contradiction entre ce que les artistes ont réalisé et les explications données à ce propos. Il pense que l’art minimal a souvent une force symbolique qui a été évincée. Die en est un parfait exemple en commençant par le titre, ainsi que sa dimension qui fait référence à l’Homme. Le fait que le cube en acier mesure six pieds est un clin d’oeil à la fameuse expression six pieds sous terre. Six pieds (environ 1m83) correspond également à une taille commune chez l’homme.
DL: Tu dis que les espaces domestiques, l’Absurde et les standards sont des sources d’inspiration pour toi. Mais toutes ces sources sont très vastes et très différentes. Quels sont les liens que tu établis entre elles?
GS: Je ne pense pas que toutes ces sources soient si différentes les unes des autres. L’art et l’habitation ont souvent été étroitement liés. La tradition victorienne avait recours au salon théâtre où certaines pièces de la maison étaient provisoirement transformées en théâtre, le temps d’une représentation pour les voisins. L’art a toujours été présent au sein des maisons sans être reconnu comme tel car il était l’oeuvre des femmes mues par une volonté de perpétuer les traditions.
La femme elle-même ne l’a jamais réalisé dans un but artistique; elle a simplement répondu aux attentes de la société: en décorant un sapin de Noël, en dressant une table ou en confectionnant des rideaux par exemple. Étrangement, le simple fait d’allier l’art au domestique rend la pratique mineure, voire presque hérétique. Pourtant, nombreux sont les artistes à avoir recours à un tel art. Le nombre d’expositions se tenant au sein des habitations est exponentiel. Le CERAP (Centre d’Études et de Recherches en Arts Plastiques de l’université de Paris), en réalisant le nombre d’artistes travaillant sur la question du logement, en est venu à poser la question à une quarantaine d’artistes: Qu’est-ce que l’art domestique? Les réponses ont débouché sur quatre expositions, en traitant autant de l’histoire des femmes et leur rapport à la maison, la domination masculine, l’incidence de la lumière, la symbolique par rapport à la présentation et l’entretien du jardin devant la maison, l’appropriation d’un chez-soi, la perception de l’intimité, l’effacement de la frontière entre espace public et espace privé, etc. Les réponses ont été extrêmement variées et tendaient surtout à élargir le questionnement plutôt qu’à apporter une définition.
Le théâtre est quant à lui un des meilleurs moyens de représenter et résumer la vie quotidienne. D’après Henri Lefebvre, c’est dans le théâtre moderne que tous les gestes du quotidien prennent enfin sens. L’Absurde utilise souvent l’espace domestique pour représenter l’absurdité de la vie et des comportements humains. Bien souvent, les standards architecturaux sont cités et utilisés pour mettre en évidence les attentes de la société sur l’individu.
Ces sources sont très différentes en apparence mais pourtant très proches.
*Dina Léger est l’arrière petite fille de Fernand Léger et Diane Agramm.
discussion between Dina Léger* and
Géraldine Singy
DL: How would you describe your artistic work?
GS: Firstly I would cite the mediums used as sculpture and installations. I am not looking however to channel myself into one area but it is still in sculpture that I find a way to express myself more widely.
At first, I was convinced that my installations told a story. Now, I think that all art, whatever it is, necessarily tells a story. It escapes us (at least partly) because the viewer always mentally constructs for himself a narrative in relation to his vision of the world, his experiences, his culture, etc.
So to answer your question, my work seeks above all to create a poetic snapshot.
DL: From where does this desire for poetic creations come?
GS: From my recent research of the Absurd. All these dramatists and writers of the Absurd have in common, not presenting a moral, but simply communicating a set of poetic images. They have not sought to tell a story and yet the story was there in spite of them. Their work and their vision, very dark and fatalistic about Man, touched me and questioned me. I have therefore wanted to include these ideas in my current pieces.
DL: Why does the Absurd make you question so much and what are your questions?
GS: The authors of the Absurd very certainly challenge me because I do not live in the same epoch as they. Having experienced the war has led them to consider the future of humanity in an extremely fatalistic way.
Many Absurd works use the domestic space as a metaphor of human psychology. Housing shrinks, collapses, forcing its inhabitants to always mount higher to be trapped, etc.
Having been born in Switzerland in 1983, leads me to design housing in a fashion diametrically opposed to their vision. It is this difference between generations that interests me and this way in which we all have to take possession of a place according to our culture, our age and our experiences.
DL: Is your work headed towards the theatre?
GS: No, it is only a source of inspiration, just as the domestic spaces and the architectural standards.
My pieces are always talking about sculpture and often of minimal art. Yet, I do not create minimal art – my work is very symbolic but its visual appearance often deliberately makes reference to minimal art and the art of the 60s as a whole.
DL: What interests you in minimal art?
GS: There is a work which particularly interests me – it is Die by Tony Smith.
Georges Didi-Huberman cites this sculpture, amongst others, in his book Ce que nous voyons, ce qui nous regarde. He re-questions the minimal art for arriving at a contradiction between what the artists have realised and the explanations given about them. He thinks that minimal art often has a symbolic force which was ousted. Die is a perfect example, starting with the title, and its dimension refers to man. The fact that the steel cube measures six foot is a nod to the famous expression
six foot under. Six foot (about 1m83) corresponds to a common height in humans.
DL: You say that the domestic spaces, the Absurd and the standards are sources of inspiration for you. But all these sources are very vast and very different. What are the links which you establish between them?
GS: I do not think that all these sources are so different one from the other.
Art and housing are often intertwined. In Victorian tradition there was the salon theatre where certain rooms of the house were temporarily transformed into a theatre, for the time of a representation for the neighbours.
Art has always been present in homes without being recognised as such because it was the work of the women driven by a desire to perpetuate traditions. The woman herself never created it with an artistic purpose: she simply responded to the expectations of the society: by decorating a Christmas tree, by dressing a table and by making curtains for example. Strangely, the simple fact of combining art with domesticity renders the undertaking minor – almost heretical. However, many artists have resorted to such art. The number of exhibitions taking place in homes is exponential. The CERAP (Centre d’Études et de Recherches en Arts Plastiques de l’université de Paris) realising the number of artists working on the issue of housing has come to ask some forty artists the question: Qu’est-ce que l’art domestique? The responses have resulted in four exhibitions, treating both the history of women and their relationship to the house, the male domination, the incidence of light, the symbolic relationship of the presentation and the maintenance of the garden in front of the house, the ownership of a home, the perception of intimacy, the blurring of the boundary between public and private space, etc. The responses were extremely varied and primarily tended to expand the questioning rather than provide a definition.
The theatre is itself one of the best ways to represent and to summarise daily life. According to Henri
Lefebvre, it is in the modern theatre that all the daily tasks finally acquire meaning.
The Absurd often uses the domestic space to represent the absurdity of life and human behaviour. Very often the architectural standards are cited and used to highlight the expectations of society on the individual.
These sources are very different in appearance but yet very close.
*Dina Léger is the great grand daughter of Fernand Léger and Diane Agramm.